Les prairies naturelles et bassins ostréicoles qui bordent les rives de la Seudre sont, pour une très grande part, d’anciens marais salants vieux de plus de mille ans. Ils sont les vestiges d’une intense activité économique qui a prospéré dans la région jusqu’au XIXe siècle. Cette dernière a durablement modelé son paysage avant que le sel ne laisse place aux huîtres.
Les claires de l’estuaire de la seudre
Image forte de Charente-Maritime, les marais de la Seudre composent une zone humide de 10 000 hectares. Ils se déploient le long de l’estuaire, depuis le pertuis de Maumusson (face à l’Ile d’Oléron) jusqu’à Saujon. Vu du ciel, ce parcours de presque 30 kilomètres dessine un superbe dallage de formes géométriques. Entre terre et mer, se dévoile une succession de marais, chenaux, prairies et de claires utilisées pour l’affinage de l’huître Marennes-Oléron.
Ces bassins ostréicoles portent l’héritage d’une longue histoire dont le prologue est très antérieur à l’élevage du mollusque, devenu aujourd’hui l’activité prépondérante du Val de Seudre. Ce sont d’anciens marais où la production d’huîtres s’est substituée à la culture du sel. Cet autre produit de la mer a aussi fait très longtemps la réputation de l’ancienne province de Saintonge.
Le commerce du sel présent dès l’époque gallo-romaine
Les Santons (Ve – IIe siècle avant JC), peuple celte dont la Saintonge tient son nom, faisaient déjà sécher la saumure dans des barquettes d’argile. D’ailleurs, les archéologues ont retrouvé la trace d’ustensiles utilisés pour la fabrication du sel à Étaules et Chaillevette (des vases cylindriques où s’effectuait la cristallisation du sel). À cette époque, la mer submergeait une partie de la vallée d’aujourd’hui.
L’arrivée des Romains dans la région (Ier siècle avant notre ère) donne une impulsion à cette activité. Elle se pratique désormais en salines, technique sans doute développée par les Gaulois eux-mêmes, avant la conquête de Jules César. Sous l’égide des nouveaux occupants, le sel récolté fait l’objet d’échanges fructueux. On le transporte depuis les voies navigables vers l’intérieur des terres, en direction du Périgord et du Limousin via Angoulême. Les vestiges de greniers à sel, identifiés le long de la Charente, attestent le dynamisme de ce commerce juteux.
La chute de Rome, indirectement provoquée par les invasions germaniques à partir du Ve siècle, amorce un premier déclin. Les principaux marais salants actifs sont alors localisés autour de Marennes. Un peu plus tard, un roi franc resté célèbre, Dagobert (VIIe siècle) en confisque la propriété à l’aristocratie locale au profit de l’Abbaye de Saint-Denis à Paris.
L’an mil marque la renaissance du sel en Saintonge
La Saintonge Maritime renaît véritablement après le tournant du premier millénaire à la faveur d’une accalmie conjoncturelle. L’arrêt des raids scandinaves coïncide avec l’installation du système féodal, synonyme d’un certain retour à l’ordre. Les peuples nordiques, Danois et Suédois, qui connaissent alors un boom économique, sont à l’origine d’une forte hausse de la demande de sel. Ces civilisations, établies sur les côtes de la mer Baltique (mais aussi en Normandie où les Vikings sont officiellement installés depuis 911) ont besoin de cet agent conservateur pour stocker leurs aliments (viandes, poissons) et préserver leurs fourrages de l’humidité, l’hiver.
La région charentaise, réputée pour son « Blanc de Liman », un sel de qualité cultivé entre L’Éguille et Mornac-sur-Seudre, profite de cette reprise. Son littoral se couvre progressivement de marais salants. D’abord exploités par des aristocrates, ils le sont ensuite par des religieux qui mettent la main à la pâte.
Un sel de plus en plus taxé
Les autorités publiques ne s’y trompent pas et instaurent une fiscalité destinée à prélever une contribution sur cette activité lucrative. Le seigneur de la châtellenie de Royan instaure une taxe « de 5 deniers pour un ‘’cent’’ de sel » sur la cargaison des bateaux en provenance de Marennes, d’Arvert ou de La Tremblade qui stationnent au large de la forteresse, dans l’attente de vents et de courants favorables. Plus tard, en 1548, le monarque Henri II étend à la Saintonge l’impôt royal sur le sel : la fameuse « Gabelle ». Décision qui provoque une révolte dans la province.
L’Aunis et la Saintonge sont alors deux des plus grosses régions productrices de sel au sein du royaume de France. Leur volume annuel atteint quelque 150 000 tonnes. L’embellie, sensible depuis plus d’un demi-millénaire, va pourtant progressivement s’essouffler. D’une part, la pression fiscale est de plus en plus forte. D’autre part, le protectionnisme d’État prive les sauniers de leurs débouchés anglais et hollandais.
Autre circonstance aggravante : beaucoup de ces producteurs, de confession protestante, sont contraints à l’exil après la révocation de l’Édit de Nantes en 1685. À elle seule, La Tremblade perd près de la moitié de sa population. Enfin, le développement du chemin de fer sous le Second Empire (1851-1870) porte un coup très dur au sel saintongeais en facilitant le transport du sel de Méditerranée, moins cher.
Du sel aux huîtres
Le coût de plus en plus élevé consacré à l’entretien des marais entraîne parfois leur abandon. Ils se transforment alors en « gâts » (marais vides) et deviendront pour la plupart des zones de pâturage au XIXe siècle. En 1800, la superficie des salines du bassin de la Seudre atteint 5 000 hectares, deux fois moins qu’en 1600.
Un vide que l’huître va progressivement combler. La reconversion des marais salants en « claires » est une tendance qui s’est imposée avec l’engouement du tourisme balnéaire, associé à la dégustation des fruits de mer, très en vogue à la fin du XIXe siècle. Les élites bordelaises en villégiature à Royan participent à des excursions spéciales organisées chez des ostréiculteurs.
L’affinage des mollusques dans les marais salants désaffectés remonte pourtant à loin. Dès 1738, alors que ce secteur historique subit déjà la crise, plus de 7 000 claires sont exploitées sur la seule rive gauche de la Seudre, depuis la pointe du Mus-de-Loup à son embouchure jusqu’à l’Éguille. Une taxe municipale sur ces produits permettra d’ailleurs au maire de Royan de financer le pavage de son bourg, entre 1820 et 1830.
Aujourd’hui, le marais salant de Mornac-sur-Seudre est de nouveau exploité. Il est possible d’en faire la visite guidée avec le saunier. Un grand nombre d’ostréiculteurs dispose de cabanes le long des rives de la Seudre. Ils proposent de la vente d’huîtres et autres fruits de mer en direct du producteur au consommateur.